article publié dans Le Figaro à propos des microforêts

06/02/2023

Article publié par Anne-Laure Frémont le 03 février 2023


Ces initiatives portent la promesse de la croissance accélérée d'une végétation dense. Un concept séduisant pour les villes qui veulent verdir sans trop de contraintes foncières, mais dont l'efficacité reste à confirmer.

Sur les parkings, les places publiques ou les bordures de périphérique, dans les lotissements ou les universités, à Paris, Bordeaux, Toulouse ou Strasbourg... Depuis à peine cinq ans, les microforêts urbaines poussent un peu partout en France. Inspirées de la méthode de reboisement Miyawaki qui promet une croissance accélérée de ces petits îlots de verdure, elles séduisent les villes pressées de se végétaliser sur un espace réduit. Car les arbres sont essentiels en zone urbaine, et le deviennent d'autant plus à l'aune du réchauffement climatique: ils améliorent la qualité de l'air en captant le dioxyde de carbone (CO2, un puissant gaz à effet de serre) et font office de climatiseurs naturels, en procurant de l'ombre et en rafraîchissant l'air ambiant par évapotranspiration.

Ce concept de microforêt a été créé par le botaniste japonais Akira Miyawaki, qui a développé dans les années 1980 une méthode visant à restaurer les écosystèmes en plantant des espèces locales de façon très dense - trois arbres par mètre carré. Les plants sont censés pousser très vite et ne plus nécessiter d'entretien au bout de trois ans.

«Cette croissance accélérée est due à l'effet de compétition entre les plants, explique l'expert arboricole David Happe*: un chêne qui pousse seul au milieu d'un champ atteindra environ 20 mètres de haut en 100 ans, et 5 à 10 mètres de plus en forêt. La densité renforce la croissance en hauteur.»

Des projets avant tout «participatifs»

À Paris, le premier projet du genre, porté par l'association Boomforest, a germé en2018 sur un talus du périphérique au niveau de la porte de Montreuil (XXe arrondissement). Aujourd'hui, «les arbres et arbustes plantés forment un massif dense et haut », indique l'association qui déplore toutefois ne pas avoir les moyens techniques de faire un suivi arbre par arbre. L'initiative a depuis essaimé dans la capitale, censée se doter de 170.000 arbres supplémentaires d'ici à la fin du mandat de sa maire, Anne Hidalgo.

« L'aspect participatif » de ces projets est au coeur de la démarche, explique-t-on chez Boomforest. S'il salue l'intérêt pédagogique de ces initiatives, David Happe récuse le terme de « microforêt » : « Une forêt est issue d'un long processus de colonisation d'un milieu par les plantes, les insectes, les animaux; ça ne se résume pas une plantation. » Le problème, « c'est qu'on manque de recul sur le devenir des arbres à long terme; Miyawaki a lui-même peu chiffré les résultats de ces travaux, qui ont en outre été mis en oeuvre dans des zones avec des précipitations deux ou trois fois plus importantes que chez nous », indique Annabel Porté, chercheuse Inrae / Université de Bordeaux. « Cette méthode ne peut pas se poursuivre longuement si les ressources en eau et en nutriments du sol sont limitées », ajoute Serge Muller, professeur émérite au Muséum National d'Histoire Naturelle. Dans nos villes, la concurrence entre les espèces risque donc d'être rude et de favoriser les arbres de petits gabarits à croissance rapide, type noisetiers... qui ont une durée de vie moins longue et capturent moins de CO2. 

Pour les arbres plus gros, à croissance plus lente, les chercheurs anticipent une forte mortalité dans ces îlots denses. Une des rares études sur la question, publiée en 2010, s'intéressait à la méthode Miyawaki appliquée en milieu naturel en Sardaigne. Les auteurs faisaient état d'une mortalité conséquente des arbres (61 à 84% au bout de douze ans), mais mettaient en avant les résultats positifs de l'expérimentation sur une zone méditerranéenne « où les méthodes traditionnelles de reboisement avaient échoué ».

Difficile donc d'appliquer ces conclusions aux projets urbains français. Mais il faut adapter « cette méthode qui prône l'utilisation d'espèces locales, parce qu'en ville, les chênes et les charmes confrontés aux épisodes caniculaires vont souffrir, souligne David Happe. Il faudra plutôt planter des espèces qui viennent par exemple du sud des États-Unis », comme le chêne mexicain qui supporte de plus grandes amplitudes thermiques. D'autant que la filière d'approvisionnement en plants forestiers est sous tension et que cette méthode de reboisement très dense est plus coûteuse, de l'ordre de plus de 3000 euros pour 100m2, selon Boomforest.

Chacun en est convaincu: planter un arbre est toujours une bonne chose et certaines villes deviendront invivables si elles ne se végétalisent pas. Mais ces microforêts sont-elles la meilleure des solutions ? « Le premier effet rafraîchissant d'un arbre provient de l'ombre portée par son feuillage, rappelle Annabel Porté; or les citadins ne sont pas censés entrer dans une forêt Miyawaki.» « Cette méthode peut être intéressante pour valoriser certains espaces disponibles, comme les talus ou bordures de routes, et impliquer les populations dans une démarche participative, mais elle n'est pas «miraculeuse » et doit être intégrée dans une approche d'ensemble », conclut Serge Muller. Une approche incluant selon les experts un maillage plus homogène dans la ville, car « planter 400 arbres à différents endroits n'aura pas la même efficacité que les planter serrés sur une petite parcelle »,note Annabel Porté. Afin de suivre l'évolution de ces projets en France, elle participe à l'initiative portée par l'association Plante & Cité, qui ambitionne de créer un observatoire des microforêts. « Nous avons lancé l'an dernier un appel à signalement des projets lancés, on en recense déjà plus de 300 », affirme Pauline Laïlle, chargée de mission au sein de l'association. Elle espère publier une première synthèse d'ici mai prochain. 

* David Happe est auteur de plusieurs ouvrages dont « Au chevet des arbres » aux éditions Le mot & le reste en mars 2022.

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